La grande salle du TnBA de Bordeaux affichait complet, jeudi 14 octobre, pour la séance inaugurale et les conférences du nouvel épisode des Tribunes. Avec un sujet de grande actualité, à quelques encâblures des élections présidentielles. Et avec 15.000 inscrits à l'accès en ligne, même si désormais les journées sont, en plus, à nouveau ouvertes au public.

« Notre idée est toujours de faire parler ensemble des spécialistes des médias et des jeunes de notre région ! » Alain Rousset, le président de la région Nouvelle-Aquitaine a salué la onzième édition des Tribunes de la Presse en soulignant, à propos du thème « Que peut le politique ? » choisi cette année, qu’il faut plus que jamais « parler d’action publique, plus que de politique, par exemple lorsqu’on sauve un lycée au fin fond de la Creuse. » Et le grand nombre de jeunes venus de toute la région dans la salle reflétait le succès de cette démarche, concrétisée durant la manifestation par des ateliers spécifiques sur les médias et l’actualité à l’Institut de Journalisme Bordeaux-Aquitaine/IJBA. Le président rappellera en outre que « cette année marque le centenaire de la naissance de Jean Lacouture, qui participa à toutes les grandes aventures que j’ai eu l’occasion de lancer ici. » Il propose de créer un Prix Jean Lacouture l’an prochain. Le troisième lieu de déroulement des rencontres, la Librairie Mollat, illustre la volonté d’associer le livre au débat.
A cette séance inaugurale, Patrick Venries, le PDG de Sud Ouest évoquera « un partenariat qui s’est affermi au fil des années. Notre métier est d’informer tous les matins plus d’un million de personnes le mieux et le plus objectivement possible. Je trouve que c’est noble de retranscrire tous les jours le fait politique. » Quant à Bernard Guetta, éditorialiste devenu homme politique (il est député européen depuis deux ans et demi), il s’interroge: « Que peut le politique ? Je ne cesse de me poser la question: est-ce que je sers à quelque chose ? Oui, le Parlement Européen est utile. Nous sommes dans une période de transition dans tous les domaines.« 

Contre-pouvoirs et populismes

Le premier débat abordait précisément ce problème : « Politiques: le pouvoir en partage ?« . Il réunissait Perrine Simon-Nahum, philosophe et historienne, Jean-Claude Mailly, ancien secrétaire général de Force Ouvrière et Manuel Valls, ancien premier ministre. La première estime que « le pouvoir démocratique est aujourd’hui contesté en tant que tel. » Pour l’ancien Premier Ministre, « la contestation du pouvoir vient aussi de formes de revendication plus individuelles. Et donc les effets de cette contestation sont une remise en question de l’autorité. Avec cette spécificité française où la fragilité des corps intermédiaires, le non respect des syndicats, la faiblesse des partis politiques aboutissent à une crise profonde de la démocratie, et une profonde  crise identitaire.« 

Dans le contexte des gilets jaunes, Jean-Claude Mailly observe « à travers les réseaux sociaux, une mobilisation horizontale qui m’inquiète : on est en train de passer d’une logique de rapports sociaux à une logique identitaire« . Il se déclare très méfiant sur la démocratie directe et considère « qu’il y a trop de syndicats dans notre pays. » Manuel Valls s’inquiète de voir « qu’un tiers des Français ne seraient pas opposés à un régime autoritaire. » Et Perrine Simon-Nahum souligne « que la politique ne s’arrête pas au jeu politique, c’est quelque chose qui organise nos vies, dans une société plurielle. Aujourd’hui, nous avons un peu l’impression d’être privés de nos moyens de décision. Nous avons des droits mais pour les exercer il faut un projet.« 

Alors y a-t-il un risque de voir les populismes s’imposer encore davantage que dans certains pays comme le Brésil ou la Hongrie ? La question a été abordée sous des angles différents par les intervenants. « La force des populismes dans le monde est de présenter un récit et un ennemi avec une cohérence. Les politiques sont alors tétanisés. Une solution est alors de porter le récit républicain. » Le leader de Force Ouvrière abonde en ce sens. « Il faut voir comment on va exprimer, améliorer les valeurs républicaines, pour les défendre de manière assidue. Refondre par exemple le projet européen. Et faire un conseil national de la reconstruction. » Et il semble que cette évolution soit amorcée, avec un déclin de ce phénomène.
Le débat suivant s’intitulait justement « Le crépuscule du populisme« . Organisé en partenariat avec Sud Ouest, il réunissait Virginie Martin, politologue, Marc Lazar, historien et sociologue, et Brice Couturier, journaliste. Marc Lazar trace tout d’abord les grands champs d’action du populisme : soit une idéologie souple, sans grand rapport avec celles du passé, soit une doctrine de pouvoir, soit encore une façon de faire, un style de politique. « Le style populiste, précise l’historien, est de penser qu’il n’y a aucun problème compliqué, et qu’il suffit d’une démarche d’urgence, avec un langage rude, vulgaire, dans un style démagogue.« 

Virginie Martin objecte que « les populistes ne sont pas les seuls à faire des propositions. Les élus anciens ont peut-être péché par leur image d’eux-mêmes. Il y a un peu de déception sur la réussite démocratique. Et avec la surmédiatisation le populisme a davantage de possibilités d’apparaître. » Pour Brice Couturier, « il est très difficile à nos gouvernants de prendre des décisions qui ne provoquent pas des réactions sur les réseaux et des manifestations dans la rue.« 

Pour autant, les plus célèbres responsables populistes, les Trump, Bolsonaro, Netanyahu, Modi ont quitté le pouvoir, comme bien d’autres. Que s’est-il passé ? Pour Marc Lazar, « l’émotion a ses limites, et la réponse est claire:nous devons faire encore plus de démocratie. » Et Virginie Martin de conclure: « C’est au progressisme de tracer une limite acceptable.« 

Le PDG de l’AFP à l’IJBA

Une part importante du programme des Tribunes se déroulait à l’Institut de Journalisme de Bordeaux Aquitaine (IJBA), avec une forte dimension d’accueil des élèves pour l’éducation aux médias avec le CLEMI. Des classes de collège étaient même venues de l’île d’Oléron ! Et l’appui le plus important a été réalisé par l’Agence France Presse qui a présenté plusieurs ateliers: « Se prémunir contre les fake-news » , « Les télés françaises sous contrôle« , « l’itinéraire incroyable d’un photojournaliste« , et « la manipulation des images« . Sur ce dernier sujet, Pierre Fernandez, journaliste chargé des contenus multimedias de l’AFP a rappelé que « les gens sont dans leur bulle et repostent des choses qu’ils n’ont pas vérifiées. Mais aujourd’hui on peut peser sur cela.« 

AFPFalsification

Le lendemain, vendredi, c’est le PDG de l’Agence France Presse en personne, Fabrice Fries qui est venu faire la synthèse de toutes les démarches exposées. Avec 1700 journalistes dans 151 pays, la troisième agence mondiale fait la fierté de ses journalistes. Ce qui ne l’empêche pas d’affronter des problèmes communs à toute la profession. A commencer par les « fake news » qu’il faut vérifier et démentir, ce qui a obligé l’agence à installer une centaine de journalistes de plus à ces fonctions. « Il y a sept ou huit ans, explique le PDG, si l’on demandait quel était l’avenir de l’AFP, les perspectives étaient assez sombres. L’AFP a pour clients les médias. On se disait que les journaux avaient perdu leur rôle de garde-barrières de l’information au profit des réseaux sociaux. Aujourd’hui, le paysage est complètement différent. Les gens se rendent compte que le journalisme est un métier. Donc notre rôle est renforcé : le métier de l’agence est de contrôler au moins deux fois l’information. Donc on va récupérer sur les réseaux sociaux les premières photos, les premiers messages et on les vérifie.« 

Quelles sont les perspectives de développement ? Fabrice Fries en trace trois : la vidéo et le son,  le « fact checking » (vérifications) et la lutte contre les abus des GAFA (droits d’auteurs). Ce dernier point engage le versement de droits aux véritables auteurs de contenus régulièrement pillés par des algorithmes…

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JEAN LACOUTURE, UN JOURNALISTE SURDOUE, UN JOURNALISME DATE ?

Samedi 16, une table-ronde réunissait à l’IJBA des personnalités du journalisme pour évoquer le souvenir d’un grand homme du métier. Avec hommage et critiques

« Il est né à Bordeaux, c’est l’un des plus brillants aînés que nous avons eu dans notre carrière, un homme absolument délicieux qui a apporté une aide aux débutants que nous avons tous été. » Ainsi Yves Harté, ancien directeur éditorial à Sud Ouest et prix Albert Londres a-t-il ouvert la rencontre sur Jean Lacouture à l’Institut de Journalisme (IJBA). Il était rejoint par deux autres « pointures » du métier : Jean-Claude Guillebaud, grand reporter à Sud Ouest et au Monde, également prix Albert Londres, écrivain et éditeur, et Bernard Guetta, longtemps journaliste à France Inter et au Monde, devenu député européen, et président des Tribunes.

« Jean Lacouture était un surdoué du journalisme, explique Jean-Claude Guillebaud, je l’ai rencontré en 1967 et on ne s’est jamais quittés. Ce qui ne veut pas dire que l’on ait toujours été d’accord! Mais on peut parfaitement être ami avec quelqu’un sans être tout à fait d’accord…« 
Quel journalisme était donc pratiqué par Jean Lacouture ? « Aujourd’hui on appellerait cela un journalisme de connivence, à mon avis à tort, estime Bernard Guetta, moi j’appellerais plutôt cela un journalisme de responsabilité. »  Pour lui, il s’agit d’une réflexion sur la suite des choses. « Dans ma génération on ne trouvait pas choquant de ne pas parler des infidélités d’une personnalité publique. » Ainsi de Mazarine, la fille cachée du président Mitterrand dont les médias ne parlaient pas. Pour Jean-Claude Guillebaud, qui a édité toutes ses biographies, « une seule fois, avec Jean, nous n’avons pas été d’accord : sur François Mitterrand, il a été  assez complaisant. Mais un jour, il m’a dit avoir été trop complaisant envers lui-même. Alors nous avons fait un livre intitulé « Enquête sur moi-même« . Il y a notamment révélé une blessure : il ne s’était pas engagé dans la Résistance, et ne l’avait jamais dit à personne.« 

« Vous partagez cette idée qu’il ne faut pas tout dire ? » demande Yves Harté. « Oui, répond Jean-Claude Guillebaud, et nous étions contre la transparence. Aujourd’hui elle se développe et cela n’a pas de sens. Cette exigence est affolante, elle fait oublier le respect de la vie privée. La transparence, qui était un atout de la démocratie est en train de devenir son pire ennemi. » Les réseaux sociaux sont en cause, et le rôle des journalistes va être plus que jamais de vérifier l’information. Mais qu’en est-il de la connivence avec les pouvoirs ?

« J’ai eu un journalisme de connivence avec les leaders de Solidarnosc, confie Bernard Guetta, car je n’allais pas saboter au nom de la vérité d’un jour un immense espoir social. » Jean-Claude Guillebaud n’est pas de cet avis: « Pour moi la vérité doit être dite coûte que coûte. » « Je ne travestissais pas la vérité, répond Bernard Guetta, je faisais de la rétention d’information pour ne pas nuire à des gens qui agissent.« 

Alors, Lacouture reporter ou journaliste de chancellerie ? Ses deux confrères s’accordent à dire qu’il a pu être les deux, avec une grande honnêteté. Jean-Claude Guillebaud souligne l’intense capacité de travail « d’un homme qui pouvait remettre à l’éditeur un chapitre de livre par semaine pendant trois ans. » A une étudiante qui demande s’il aurait pu être la plume d’un homme politique comme Mendès-France, la réponse est négative, car il ne l’aurait pas accepté pour un homme d’Etat. Et la plume de Jean Lacouture a bien été la sienne jusqu’au bout : il avait lui-même voulu réécrire ses notices nécrologiques pour le Monde et le Figaro
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