« D’une presse à l’autre : ce que je pense de l’avenir du journalisme » était le thème de l’atelier à l’IJBA le 2 décembre avec une grande pointure de la presse, toujours éditorialiste à Sud Ouest, où il fut aussi reporter de guerre, avant de passer au Monde et à L’Obs, tout en ayant écrit une quarantaine lire la suite

« D’une presse à l’autre : ce que je pense de l’avenir du journalisme » était le thème de l’atelier à l’IJBA le 2 décembre avec une grande pointure de la presse, toujours éditorialiste à Sud Ouest, où il fut aussi reporter de guerre, avant de passer au Monde et à L’Obs, tout en ayant écrit une quarantaine d’ouvrages d’actualité et de réflexion.

« La guerre du Vietnam a sans doute été l’événement le plus important dans les médias du XXème siècle. » Jean-Claude Guillebaud évoque encore avec émotion ce conflit qu’il traita pour Sud Ouest puis pour Le Monde, même si ce ne fut pas son premier reportage de guerre, puisqu’il commença sa carrière dans ce domaine au Biafra à la demande d’Henri Amouroux. « Je suis allé trois fois au Vietnam. On a dit à l’époque que l’armée américaine avait été contrainte à la transparence sur cette guerre. Or, lorsqu’on peut consulter les archives nord-vietnamiennes, on constate une chose qui ne se voyait jamais dans les films d’actualités américains : ce sont les morts. »

Il cite un documentaire remarquable, d’une durée de… neuf heures qui reprend ces archives et bien d’autres.

Ainsi a commencé l’atelier des Tribunes, animé par Clément Billardello, le samedi 2 décembre à l’Institut de Journalisme de Bordeaux Aquitaine (IJBA) : dans le feu de l’action, avec des images verbales puissantes, qui démontent les faux-semblants, comme savent en livrer les reporters de guerre.

Jean-Claude Guillebaud rappelle l’un de ses premiers articles en 1972, « sur les soldats sud-vietnamiens. Ce n’était pas une armée fantoche comme on l’a dit, ils se sont par exemple battus jusqu’à la mort pour sauver la ville de Hué. »

Pour mettre au jour des faits qui ne plaisent pas forcément à l’autorité militaire, il faut que les journalistes sortent des sentiers battus. Mais le reportage qui lui a fait recevoir le Prix Albert Londres, la plus haute distinction journalistique française, a tenu à un tout autre comportement.

« Je l’ai eu parce que j’avais rencontré un prêtre basque qui a réussi à me faire traverser les lignes occupées par le Vietcong. Les Nord Vietnamiens ne touchaient pas aux curés, avec lesquels ils avaient parfois des accords, et celui-là m’a donné une soutane pour traverser le pays. On dormait dans des léproseries. Je n’ai pu enlever la soutane que lorsqu’on est arrivés dans sa paroisse. »

Cet exploit lui a fait écrire des choses vues, vécues, vraies, bien différentes de celles canalisées par la censure américaine, même si celle-ci donnait une apparence de liberté à ses confrères.

Jamais avec la meute

« J’ai couvert ensuite des guerres pendant 26 ans. ». Qu’en retient-il ? « D’abord que le profil du courage dans la guerre a changé. Moi j’ai toujours eu la trouille. Et mes confrères aussi. J’en ai connu seulement deux ou trois qui étaient des têtes brûlées. Et une demi-douzaine de confrères ont été tués au Vietnam, comme Michel Laurent, un photographe, l’un des derniers morts de la guerre. »

Mais que reste-t-il de tout cela ? A l’animateur qui lui demande ce que signifie le fait de produire une info sur une guerre ou une bataille, Jean-Claude Guillebaud répond sans hésiter : « Quand on est journaliste, il ne faut jamais chasser avec la meute. Chaque fois que j’ai pu je me suis échappé du groupe. Et ce métier est très curieux, il y a une concurrence effrénée entre nous, et à la fois une solidarité très forte. »

Aujourd’hui il est membre du jury de deux prix, l’Albert-Londres et le prix Bayeux du reportage de guerre. « Je vois chaque année 120 dossiers écrits par des jeunes journalistes. Je suis heureux, car ils travaillent mieux que nous : ils ont parfois perdu un peu en écriture, mais ils sont plus exigeants sur les événements. »

Comment voit-il l’évolution du métier à notre époque ? « J’ai appris à faire la différence entre le journalistique et le médiatique. Ce dernier est sorti du ventre du journalisme, mais n’a plus rien à voir avec lui. On donne très rapidement une info, on diffuse n’importe quoi – par exemple ces jours-ci la fausse mort de Johnny Hallyday – c’est le problème des réseaux sociaux et des chaînes d’information continue. »

Et il y a tout le problème du vécu des reportages : si tout se trouve sur Internet, qui va encore aller comme lui s’installer dans un foyer de Sénégalais à Paris pour un reportage sur les Africains immigrés, avant de se rendre dans leurs familles, là-bas, en Afrique ? « C’est le reportage dont je suis le plus fier, confie-t-il, mais ma meilleure récompense a été la demande du rédacteur en chef du Soleil de Dakar de le re-publier dans son journal. »

Il y aura encore des questions sur les grandes exigences du métier, l’importance de la presse papier, l’enseignement du journalisme et les valeurs à inculquer aux jeunes. Il rappellera qu’en France on a dû réécrire trois fois la déontologie de la presse, « en 14-18 quand l’armée la tenait en main, en 1930 lorsqu’elle était gangrenée par les financiers, et en 1944 après la collaboration, avec les Ordonnances qui restent les plus beaux textes écrits sur notre liberté. »

Et il conclut : « Quand je vois naître de petits journaux autofinancés comme la revue XXI ou l’Ebdo, c’est formidable ! » Il remerciera Henri Amouroux « qui m’a donné mon métier » et insistera sur l’importance des faits et sujets locaux : « Il n’y a pas besoin d’aller au bout du monde pour faire d’excellents reportages ! »

 

Photo : Jean-Claude Guillebaud, prix Albert Londres, grand reporter de guerre et écrivain, et Clément Billardello, animateur de l’atelier (Photo Guillaume Marchal)

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