Quels effets l'onde de choc Trump a provoqué en Nouvelle-Aquitaine ? C'est autour de cette question qu'a gravité le débat de la table-ronde animée par le journaliste indépendant Jordi Lafon-Lacaze, membre actif du Club, en présence du cinéaste américain Pierre Bagley et de Daniel Sauvaitre, président de l'Interprofession des fruits et légumes frais.
Lors de l’échange organisé par le Club de la Presse de Bordeaux Nouvelle-Aquitaine dans le cadre du Festival International du Journalisme* à Couthures-sur-Garonne, une interrogation troublante se profile : et si au final, les frasques de Donald Trump s’avéraient être un mal pour un bien ?
Depuis son retour à la Maison-Blanche le 20 janvier 2025, Donald Trump s’emploie à détricoter tout ce qui peut l’être au nom de son fameux slogan « Make America Great Again ». Son virage protectionniste, brutal et assumé, a provoqué une onde de choc, dont l’ampleur reste difficile à mesurer. En Nouvelle-Aquitaine, troisième région économique de France, les conséquences de sa politique sont déjà palpables.
Selon la Chambre de Commerce et d’Industrie de Nouvelle-Aquitaine (CCI), les États-Unis représentaient en 2022 le deuxième marché d’exportation de la région, juste derrière l’Espagne, avec 12,4% des exportations. En première ligne de mire : la filière Cognac, prise de plein fouet par l’annonce d’une hausse des droits de douane. Les volte-faces incessantes du président américain ne perturbent pas seulement le commerce régional, elles affectent aussi les relations diplomatiques et culturelles que la région entretient avec Washington.
Pourtant, dans ce tableau inquiétant, tout n’est pas aussi sombre qu’il n’y parait. La nouvelle donne géopolitique pourrait en effet ouvrir la voie à de nouvelles opportunités où la Région pourrait tirer son épingle du jeu. Et ce sont peut-être d’ailleurs les fleurons de l’aéronautique installées dans la région, qui pourraient à terme bénéficier de ce changement de cap, porté par un début de « réveil stratégique européen » face à un allié américain devenu de plus en plus imprévisible.
Faisons le point sur la situation.
Les vins et spiritueux dans la tourmente
Selon la Fédération des Exportations de Vins et Spiritueux (FEVS), les États-Unis étaient en 2024 la « première destination des vins et spiritueux français, concentrant (…) 18% des volumes de l’ensemble des exportations », soit 3,8 milliards d’euros. D’après les chiffres de la FEVS, sur le marché américain, le Cognac est le principal moteur de la performance des spiritueux français. Ces belles performances pourraient bien être sérieusement compromises.
Le 3 avril dernier, Donald Trump a semé le trouble en menaçant d’imposer des droits de douane allant de 20 à 50% sur plusieurs produits européens, pour finalement reculer partiellement et d’annoncer une trêve temporaire à 10%, valable jusqu’au 1er août.
Cette décision intervient dans un contexte déjà tendu. En octobre 2024, Pékin avait relevé à 35% les taxes sur les vins et spiritueux européens, en réaction à la taxation des voitures électriques chinoises décidée par Bruxelles.
Daniel Sauvaitre a constaté un effet immédiat sur ses ventes : « Mon contrat d’achat a baissé de 30% », remarque-t-il. Pour l’instant, la taxe douanière est limitée à 10% mais à son habitude, le président américain aime bien créer du suspense. Conséquence : tout le monde est suspendu aux résultats des négociations. « On est tous en attente de ce qui va se passer puisque pour l’instant on est à 10% de droits de douane », explique Daniel Sauvaitre.
Une guerre commerciale qui rebat les cartes
Cette guerre commerciale avec les États-Unis ne date pas d’hier, soulève le viticulteur. Dès 2017, lors du premier mandat de Trump, les tensions autour de l’accord de libre-échange entre l’Amérique du Nord et le Mexique, l’ALENA, avaient poussé le Mexique à s’interroger sur sa dépendance aux pommes américaines. Aujourd’hui, la France tente de tirer parti de cette situation. Elle négocie avec le Mexique « pour obtenir l’accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) qui permet de garantir la totale sécurité pour les fruits qu’on envoie et pour ne pas véhiculer des parasites qui n’existent pas au Mexique », explique Daniel Sauvaitre.
Il raconte que lors d’une visite officielle au Mexique, on lui a fait remarquer qu’il fallait en profiter « parce qu’on commence à être énervé au Mexique avec l’exclusivité qu’ont les Américains pour vendre des pommes chez nous et c’est peut-être le moment de revenir pousser la porte ». Face aux coups de tête du président américain, le Mexique et d’autres pays cherchent à « diversifier leurs sources d’approvisionnement ». Il ajoute : « L’agitation que provoque Trump avec ses taxations -réelles ou supposées- amènent évidemment une redistribution de l’intérêt des pays pour échanger ou pour diversifier leur approvisionnement. »
Non à la fermeture du consulat de Bordeaux
Les velléités budgétaires du président Trump ont également fait trembler la diplomatie américaine jusqu’à Bordeaux. Selon le média « Politico », Donald Trump, avec l’appui d’Elon Musk et son « Department of Government Efficiency », avait envisagé de fermer plusieurs consulats, dont celui de la capitale girondine, dans une logique de réduction des dépenses publiques.
Pierre Bagley, citoyen américain installé à Bordeaux, ne cache pas son inquiétude : «Historiquement, le consulat représente une part importante de notre « soft power » (puissance douce). Ce n’est pas seulement l’endroit où nous obtenons nos passeports et faisons nos démarches administratives, c’est aussi notre façon de faire des affaires avec notre image de marque ».
D’après lui, c’est le refus ferme du maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, qui aurait fait reculer l’administration Trump : « Le consulat est encore ouvert parce que le maire de Bordeaux et autres fonctionnaires français ont dit non, nous n’allons pas le fermer. A son habitude, Donald Trump a finalement fait marche arrière car Bordeaux lui a tenu tête ». Du moins, pour le moment.
Aéronautique et défense : vers un réveil stratégique européen ?
Mais voilà, est-ce que le chaos semé par Donald Trump pourrait-il se retourner à terme contre lui ? C’est la question que pose le journaliste Jordi Lafon-Lacaze car l’imprévisibilité de Donald Trump sur la scène internationale a permis le début d’un « réveil français et européen en matière de souveraineté militaro-industrielle ».
Face à un potentiel désengagement militaire de Washington en Europe, la réponse de l’Union Européenne a le mérite d’être claire : en mars 2025, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, annonçait la mobilisation de 800 milliards d’euros pour renforcer les capacités de défense de l’Union Européenne d’ici 2030. C’est le plan « ReArm Europe », renommé « Readiness 2030 ». Pour la France, c’est une confirmation qu’il est temps « d’ouvrir le débat stratégique sur la protection de nos alliés européens par notre dissuasion » et que « désormais les intérêts vitaux de la France ont une dimension européenne ».
Ce réveil pourrait bien profiter au fleuron de l’économie girondine : l’aéronautique. Plusieurs entreprises du secteur, basées en Nouvelle-Aquitaine comme par exemple Eurenko (pour la poudre de munitions), Thales, Dassault, sans oublier Safran qui tout compte fait pourraient bénéficier de ce revirement stratégique.
La région pourrait-elle ainsi, sans bruit, tirer profit de ce réveil militaire européen ?
Un soft power qui s’effrite ?
Trump, c’est aussi l’image d’une Amérique qui s’effrite. Pour Pierre Bagley, le président américain se comporte comme un enfant capricieux, qui ternit l’image d’un pays longtemps perçu comme le défenseur des libertés.
Mais pour ce citoyen américain installé à Bordeaux, cette crise permet de révéler le véritable visage des États-Unis, un pays qui « refuse de vivre en accord avec ce qu’il a promis constitutionnellement et de traiter chacun sur un pied d’égalité ».
Selon lui, la perception mondiale est en train de changer. Face à cette instabilité, la France représente d’après lui un contrepoids plus stable, plus équilibré. « Même si les États-Unis ont le pouvoir de déséquilibrer le monde en l’espace de six mois », Pierre Bagley reste convaincu que Paris « a déjà traversé des crises plus graves » et que finalement la France n’aura aucun problème à surmonter celle-ci », affirme-t-il avec optimisme.
Texte : Isabelle Birambaux, journaliste documentariste et membre active du Club
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*Le Club est partenaire du Festival.






