
L'on ne pourra plus dire que l'attrait pour l'information laisse indifférent le public bordelais. Salle comble à "Cap Sciences" pour le rendez-vous mensuel autour d'un thème consacré aux médias.
La formule est bien rôdée : depuis 2019, à raison de 9 rendez-vous par an, Cap Sciences propose une rencontre, sous forme d' »Happy hours », autour d’une thématique changeante. L’occasion de s’interroger sur les enjeux de société qu’affectionnent cette institution aquitaine lors de confrontations autour d’un verre. Le sujet retenu jeudi soir n’était pas des plus joyeux puisqu’il s’agissait de s’interroger sur les périls qui menacent l’information : « comment en sommes-nous arrivés là ? ».
La question fut ainsi posée d’entrée par le journaliste indépendant Mathieu Brand aux deux invitées : Lumi, journaliste et vidéaste pour les médias indépendants Blast et Off investigation. Cette consœur est spécialisée dans l’analyse des médias, le journalisme d’enquête et l’extrême droite, ainsi que Maria Santos-Sainz, professeure en sciences de l’information à l’IJBA (l’Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine), responsable de la spécialité presse écrite et multimédia, et membre des laboratoires Mica – axe médias et LaPiJ de l’université libre de Bruxelles. Maria Santos-Sainz est également l’auteure de plusieurs ouvrages.

De gauche à droite: Mathieu Brand, journaliste, animateur, Maria Santos-Sainz, professeure en sciences de l’information à l’IJBA (l’Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine de l’université Bordeaux Montaigne) et universitaire, Lumi,journaliste et vidéaste pour les médias indépendants Blast et Off investigation. (Crédit Club).
En ordre de bataille
Spoiler n’est pas jouer… La soirée s’est terminée par une question ouverte à méditer au coin du feu. Elle fut posée par une participante juste avant de se quitter : « qui a précédé l’autre ? Les médias ou la crise sociale (ou de société) ; la poule ou l’œuf ? ». Mais auparavant, durant les 90 minutes de cet « Happy hour », les interrogations ont fusé, de même que des débuts d’explications. Concentration des médias, bataille culturelle à la fois idéologique et économique menée en France par des généraux à la tête d’empires de presse et dont la conquête du pouvoir ne saurait être entraver par un journalisme indépendant, des rédactions récalcitrantes. Une armada d’influenceurs, d’éditorialistes donnent le tempo, entraînant un effet de suivisme des autres médias.
Cordon sanitaire en Belgique
Si en Belgique un cordon sanitaire médiatique tient face aux menaces de l’extrême droite, notamment en Wallonie, « il est trop tard en France » pour instaurer un tel dispositif ont convenu les invitées, si ce n’est à élaborer des plans sur le long terme. Même si l’Arcom perturbe la marche en avant de Vincent Bolloré en ne renouvelant pas la fréquence de C8, même si les modérateurs du réseau social Reddit France ont banni de son forum les médias appartenant à Vincent Bolloré, ont expliqué Maria Santos-Sainz, la campagne pour la promotion des idées prônées par le milliardaire breton ne s’arrêtera pas de si tôt, de même qu’en Italie, en Hongrie et en Inde. Dopée par la victoire de Donald Trump, l’énergie des libertariens à la tête d’X, de Meta, balaie tout au nom de la défense de la liberté d’expression qui prend la forme d’une guerre contre les démocraties. Face à ce raz-de-marée, l’Europe tente de faire face.
Dans la salle, un participant demande si un média de droite a été invité. L’animateur rappelle la démarche de Cap Sciences : traiter des sujets documentés, développer un esprit critique scientifique, livrer des contre-exemples. Et le thème ce soir était centré sur un questionnement : l’information, bien culturel, est-elle malmenée quand les principaux médias privés ont été rachetés par des grands groupes industriels et que le service public subit des coupes budgétaires à répétition ? « Qu’apporte l’extrême droite si ce n’est une raréfaction et une sélection des sources, un traitement de la gauche catastrophique ou à des heures de programmation impossibles » ont constaté les intervenantes. Et de conclure sur ce point : le journalisme et son enseignement, comme à l’ Institut de Bordeaux, constitue « un acte de résistance, en faisant vivre l’esprit critique et nourrir le débat. »
La protection des sources en jeu
Il fut aussi question des procédures baillons, dont l’impact financier fait souffrir les trésoreries des médias indépendants et de la convocation par une magistrate, le lendemain matin, d’Ariane Lavrilleux, pour être interrogée dans le cadre d’une enquête judiciaire pour divulgation d’informations secret-défense après la révélation par le média Disclose, en 2021, des conditions dans lesquelles une opération de renseignement française en Égypte avait débouché sur la mort de nombreux civils. Cette consœur encourait une mise en examen pour avoir enfreint le secret défense. Elle a été placée sous le statut de témoin assisté.
Texte : Richard Hecht
Photos : Club de la Presse de Bordeaux Nouvelle-Aquitaine
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Pour aller plus loin :
L’enregistrement de l’ Happy Hour consacrée aux médias peut être consulté sur le site de Cap Sciences après sa mise en ligne.
Qu’est-ce que le cordon sanitaire médiatique en Belgique ?
« Des « médias de désinformation » bannis par Reddit France
Parmi les ouvrages de Maria Santos-Sainz, citons « Virginia Woolf, journaliste » (Apogée, janvier 2025), Le dernier Goya. De reporter de guerre à chroniqueur de Bordeaux (Cairn, 2021), Albert Camus, journaliste. Reporter à Alger, éditorialiste à Combat (éditions Apogée, 2019), L’Élite journalistique et son pouvoir (Apogée).