Le financement des grands médias français passe majoritairement par les milliardaires. Pour se libérer de leurs pressions et proposer un contre-mouvement, l'information indépendante doit inventer tout un modèle après des années de presse en ligne gratuite.
Bolloré, Arnault, Stérin, la connivence entre politiques et patrons de presse, les difficultés économiques des médias… Rien de très nouveau sous le soleil de Couthures-sur-Garonne et des débats du festival de journalisme organisé par le groupe Le Monde le week-end dernier. Les milliardaires continuent d’investir dans les médias et de se servir d’eux pour orienter le débat public, face à des rédactions parfois bien en peine pour empêcher les bascules idéologiques.
Mais tout n’est pas perdu ! Et voici ce qui sonne comme un appel motivant, un brin provocateur : « Je ne vois pas pourquoi il faudrait tout le temps renflouer des médias déficitaires. On pourrait aussi se dire qu’on va créer des médias à l’équilibre où les gens sont convaincus de devoir payer pour avoir accès à l’information. » Derrière la pensée de Jean-Baptiste Rivoire, ancien journaliste de Canal+ et fondateur du site Off Investigation, se lit le grand défi de la nouvelle presse indépendante en ligne : aller chercher les revenus au plus près de ses lectrices et lecteurs. Une vraie bataille culturelle à l’heure de l’abondance de l’information et après une quinzaine d’années de « tout gratuit » dans la presse en ligne.
Ça tombe bien, les médias indés vont faire corps. A l’initiative d’une quinzaine d’entre eux, le collectif La Presse Libre va proposer dès la rentrée un abonnement unique pour accéder à des titres locaux et nationaux (Arrêt sur images, Les Jours, Politis, Médiacités…). Jouer collectif aidera à convaincre le public et à déclencher l’acte d’achat par l’abonnement. Ce qui constitue la meilleure façon de concilier revenus et indépendance. « Si les gens n’achètent pas les titres, c’est qu’ils n’ont pas envie de dépenser pour ça ou qu’ils ne peuvent pas. Mais acheter l’information est un effort que vous devez faire pour soutenir le journalisme que vous souhaitez », pointe Emmanuelle Soufi, journaliste au Canard Enchaîné, face au public.
Journalisme domestiqué
Ces médias sans riche actionnaire sont-ils la grande solution ? Ne pourrait-on pas aussi mieux encadrer la gestion des médias traditionnels et calmer les ardeurs idéologiques des milliardaires ? « Il faut éviter que les médias deviennent la chose de leurs propriétaires en instaurant un cadre clair qui renforce l’autonomie des rédactions », lance Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières. Un vœu martelé depuis des années sans que les Etats généraux de l’information, conclus en 2024, n’aient amélioré la situation.
Face aux croisades de certains actionnaires, l’urgence s’impose. « Il y a une quinzaine d’années, on nous faisait comprendre qu’il ne fallait pas aller trop loin pour ne pas froisser les annonceurs. Désormais, la guerre informationnelle se fait sur un terrain politique », observe Emmanuelle Soufi, qui rappelle aussi, en tant qu’ancienne du JDD, que « ce n’est pas parce qu’un média est détenu par un milliardaire qu’on y raconte n’importe quoi ». Implicites ou dévoilées, les pressions sur les journalistes sont pourtant nombreuses dans « un système informationnel massivement domestiqué ».
Le moment n’a d’ailleurs jamais été aussi propice pour se lancer dans la contre-aventure médiatique. « Aujourd’hui avec 1 000 euros vous lancez votre média en ligne. A l’époque, pour lancer un journal papier, la mise de départ était à 40 millions », rappelle Jean-Baptiste Rivoire. Avec le journalisme en idéal et les médias organisés en système, il tient aux journalistes de s’emparer d’une indépendance qui s’usera si on ne s’en sert pas.
Texte : Maxime Giraudeau, journaliste et vice-Président du Club
Crédit photo : Gabriel Taïeb, journaliste et membre actif du Club






