FIJ2025 radios associatives

Face à la fragilité de leur financement et aux évolutions technologiques, les radios associatives luttent pour rester à l’antenne. Pendant le Festival International du Journalisme qui s'est tenu à Couthures-sur-Garonne du 11 au 13 juillet 2025, Baptiste Giraud, journaliste à "La Clé des Ondes" et Aurélie Trévisan, responsable de "CFM Radio, une radio associative du Lot-et-Garonne, racontent leur combat pour "donner la parole à ceux qu'on n'entend jamais ailleurs". A la fois associations et médias de proximité, ces radios s’imposent comme des acteurs essentiels pour créer du lien social mais aussi comme vecteur du dialogue démocratique.

En France et dans les DOM TOM, près de 770 radios associatives existent « avec des disparités selon les territoires« , souligne Aurélie Trévisan, responsable de CFM Radio, basée à Casteljaloux, dans le Lot-et-Garonne. Ce maillage dense incarné par une diversité de voix, tend pourtant à se raréfier. Aujourd’hui, il fait figure de dernier bastion dans le paysage médiatique français : « En Lot et Garonne, on était 15 radios associatives, il en reste 6. C’est devenu un vrai combat« , alerte Aurélie Trévisan. Même son de cloche à Bordeaux où Baptiste Giraud, journaliste à la Clé des Ondes, déplore « la disparition de Nova et de FIP » ainsi que « la fermeture des antennes de Radio France ». Coupes budgétaires, évolutions technologiques, précarité des structures qui reposent essentiellement sur le bénévolat et parfois même pressions politiques sont autant de menaces qui pèsent lourdement sur ces radios locales qui donnent la parole à des voix différentes.

Plus humaines et plus proches

Car loin des studios parisiens et des grandes audiences, les radios locales cultivent une autre manière d’informer : plus proche, plus humaine. Aurélie Trévisan raconte que depuis la création de CFM Radio en 1981, les habitants de Casteljaloux « n’hésitent pas à pousser la porte de la radio » pour parler « d’un sujet aux infos, faire une émission, ou simplement se rendre utiles« . Dans ces zones rurales où certains sont « en situation d’isolement« , ces radios associatives s’avèrent essentielles pour tisser du lien : « Nous sommes des radios de service AU public, mais pas de service public« , souligne-t-elle avec conviction.

Des bénévoles passionnés et engagés, formés à la technique et à la prise de parole, réalisent des émissions « moins formatées » — mais pas moins pertinentes. « Nous n’avons pas les mêmes moyens, les mêmes équipes derrière, pas le même professionnalisme mais ça ne veut pas dire que les paroles, les récits qu’on partage sur nos antennes, ne valent pas autant que ceux de France Inter ou d’une autre chaîne de radio« , martèle Aurélie Trévisan. La directrice de CFM Radio croit dur comme fer dans la mission d’inclusion portée par ces radios. « C’est notre richesse de ne pas formater nos voix, nos programmes« , insiste-t-elle.

Une inclusion réelle, loin des discours

A Bordeaux, Baptiste Giraud revendique fièrement une parole qui sort des sentiers battus. Dans un paysage médiatique souvent uniforme, il donne la voix à ceux que l’on n’entend jamais, bien loin de ce qu’on a l’habitude de voir et d’entendre sur nos antennes.

Il évoque un rapport publié par l’ARCOM, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, qui porte sur la perception de la représentation de la diversité de la société française dans les médias entre 2013 et 2023. Bien qu’une amélioration soit perceptible, le rapport met en lumière une « préoccupation grandissante des éditeurs pour les sujets de cohésion sociale« . Baptiste Giraud rappelle que, selon ce document, la majorité des personnes visibles dans les médias sont des hommes blancs, issus de catégories professionnelles supérieures et vivant en milieu urbain.

Conformément à ses valeurs, La Clé des Ondes tend le micro aux chômeurs, aux détenus, aux habitants des quartiers populaires, aux collectifs en lutte « que ce soit des écologistes ou des féministes » ou encore aux communautés étrangères, « qui ont des émissions en langue portugaise, espagnole ou arabe » ou encore aux personnes atteintes de troubles psychiques. La diversité y est donc bien réelle.

Un financement fragile

Au-delà de l’engagement des bénévoles, c’est principalement le Fonds de soutien à l’expression radiophonique (FSER), une aide publique pilotée par le ministère de la Culture, qui permet à ces radios d’exister. Or en 2023, ce soutien a failli être amputé de 30 %, ce qui met en péril des dizaines de stations. « Sans le FSER, 40% des radios locales auraient disparu« , confie sans détour Aurélie Trévisan. Et ce n’est pas tout : ces coupes menacent aussi de nombreux emplois.

Pour certaines radios, ce financement public constitue d’ailleurs la seule source de revenus puisqu’elles ont fait le choix de ne pas recourir à la publicité « par choix éthique« , comme à la Clé des Ondes, explique Baptiste Giraud. « Cela fait partie de nos engagements et de nos valeurs« , souligne-t-il. A CFM Radio, la publicité représente une petite part du budget, strictement limitée à moins « 20% du chiffre d’affaires« , précise la directrice de la station.

La menace des coupes budgétaires a d’ailleurs mobilisé tout le secteur. Aurélie Trévisan se souvient d’un formidable élan de « solidarité de la part de tous les médias : les radios commerciales, la télévision, la presse écrite, locale comme nationale. On a eu un soutien énorme« . La crise a été évitée, mais sans garanties pour l’avenir.

Le problème reste donc entier : entre charges salariales, entretien du matériel, transition numérique, la survie de ces radios demeure un défi permanent. Et comme le résume la directrice d’antenne : « Faire des dossiers de subventions nous prend un temps fou. Et ce temps-là, je ne le passe pas à faire de la radio« .

Une radio à deux vitesses ?

La transition numérique, elle aussi, pèse lourd sur les épaules de ces radio associatives. Avec l’arrivée du DAB+ (la radio numérique terrestre), il devient nécessaire d’investir dans de « nouveaux matériels de diffusion, donc de nouveaux émetteurs« , explique Aurélie Trévisan. Le problème, selon elle, c’est que « pour les radios, notamment dans les zones rurales« , le DAB+ « multiplie les coûts de manière trop importante ».

Une inquiétude partagée par Baptiste Giraud, qui redoute l’émergence d’une radio à deux vitesses avec « la FM dans les zones rurales et le DAB en ville » ? Le fossé entre les villes et la campagne risquerait, selon lui, de grandir : « Le DAB+, c’est soit vous captez, soit vous ne captez pas. Soit ça passe, soit c’est le blanc« . Face à cette perspective, les radios associatives défendent donc avec force la bande FM. « Ça marche très bien. Tout le monde a un poste FM« . Le journaliste de la Clé des Ondes rappelle même qu’un de leurs bénévoles disait souvent « En radio, il n’y a pas plusieurs divisions, il n’y a qu’une première division, c’est la bande FM« .

Une cible politique ?

Fragilité financière, transition technologique et pressions politiques : les radios associatives affrontent des défis majeurs. Le journaliste de la Clé des Ondes dénonce notamment des difficultés d’accès aux aides publiques. Il constate que sa radio s’est vu refuser des subventions sans justification. Un refus qu’il soupçonne être motivé politiquement. « Certains élus malintentionnés ne veulent pas que ces radios continuent à toucher de l’argent public pour faire ce travail« , insiste-t-il.

Il raconte que la Clé des Ondes a même été la cible d’attaques verbales et physiques, possiblement orchestrées par des militants d’extrême droite. Il évoque des incidents, comme « des fumigènes dans la boîte aux lettres », des agressions à la sortie des studios, voire « des tentatives de récupérer leur fréquence« .

Aurélie Trévisan s’interroge sur la dépendance vis-à-vis des financeurs publics : « Les radios associatives sont-elles prêtes à accepter de l’argent en étant contrôlées et dirigées« . Pour elle, une radio libre, doit pouvoir exprimer son opinion même si cela va à l’encontre de certaines positions politiques. « C’est la base même du média libre« , insiste-t-elle. Elle craint que des tendances politiques ne cherchent à « faire taire ses médias comme on le constate aux États-Unis ».

Un enjeu démocratique et social

Les enjeux pour la démocratie sont donc bien réels. Malgré la réduction du nombre de radios dans le paysage médiatique français, le travail reste colossal, remarque Baptiste Giraud. « L’actualité politique locale, le boulot des députés (…) personne n’en parle« .

Au-delà de leur rôle fondamental pour la santé démocratique, ces radios sont de véritables acteurs de proximité. Elles jouent un rôle clé dans les territoires en favorisant le lien social tout en offrant une tribune non négligeable à des voix marginalisées, voire totalement invisibilisées.

Sans oublier leur rôle pédagogique : A l’heure où la désinformation menace la confiance des citoyens, certaines radios, comme CFM Radio, ont choisi de « développer de plus en plus des ateliers d’éducation aux médias pour les publics scolaires« . Nombre d’entre elles proposent des initiatives pour renforcer l’esprit critique face aux fake news. Alors que le paysage médiatique français se transforme, l’existence de ces radios rappelle que la liberté d’expression et l’inclusion ne sont pas de simples options mais nécessaires à l’équilibre d’une société pluraliste.

Texte : Isabelle Birambaux, journaliste documentariste et membre active du Club

Crédit photo : Gabriel Taïeb, journaliste et membre actif du Club

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