Ah, le simple bonheur de se retrouver EN VRAI, et de discuter face à un visage humain plutôt que devant un écran ! Annulée l’an passé, la vingtième édition des 48 heures de la Pige drivée par l’association « Profession Pigiste » s’est déroulée jeudi 24 et vendredi 25 juin, à Paris. Quelques 140 pigistes ont participé aux lire la suite

Ah, le simple bonheur de se retrouver EN VRAI, et de discuter face à un visage humain plutôt que devant un écran ! Annulée l’an passé, la vingtième édition des 48 heures de la Pige drivée par l’association « Profession Pigiste » s’est déroulée jeudi 24 et vendredi 25 juin, à Paris. Quelques 140 pigistes ont participé aux multiples ateliers disséminés dans quatre lieux de l’est parisien (afin de respecter les jauges fixées il y a encore quelques semaines). C’était un millésime particulier ; c’était une organisation aux petits oignons similaire aux années précédentes.

Au-delà des partages d’expériences et de la pertinence des intervenant.e.s, les échanges de contacts, les mini-conférences de rédactions improvisées entre midi et deux, sur la place de La République ou le soir autour d’un verre du côté d’Un lieu pour respirer ou au 193 (ahhh l’apéro !) sont toujours l’élan de motivation qui contrebalance l’isolement qui caractérise souvent la vie du pigiste.

« Montrer son visage »

Différents parcours étaient proposés dans chacun des quatre lieux : débuter à la pige ; mieux vivre à la pige ; aller plus loin ; se diversifier. Ce dernier atelier s’est déroulé jeudi, à la Bourse du Travail. « La difficulté en province, c’est de se faire un réseau et un carnet d’adresse » pointe Sonia Reyne, correspondante à Clermont-Ferrand pour Libération, La Tribune, et qui pige pour la presse agricole.
Sa recette ? « Dès que je passe sur Paris, j’essaie de caler un rendez-vous avec une rédaction. Le but : montrer son visage et que la rédaction ne m’oublie pas. Il est rare, également, que je reparte sans commande. J’essaie d’être très pointue sur les synopsis ».
Les synos, parlons-en. Sarah Gondillot, rédactrice en cheffe de Causette et Blaise Mao, rédacteur en chef du trimestriel Usbek&Rica, préconisent « un titre et un syno court : en cinq lignes, j’ai compris le sujet », dit la première – accompagné d’un petit CV de présentation et de quelques liens, directement dans le mail, d’articles déjà réalisés, en cas de première pige. « Il faut que le pigiste montre qu’il a envie d’écrire pour le média en question », prolonge le second. « Ce qui sous-entend prendre le temps de regarder la ligne éditoriale. J’invite aussi les pigistes à ne pas faire de synos trop détaillés pour protéger leur sujet. Si j’accepte celui-ci, on discute ensuite de la manière dont on va le traiter ».

Etre précis et pertinent dans ses synopsis est la condition nécessaire (parfois pas suffisante) pour vendre des sujets. Car les boîtes mail des rédacteurs.trices en chef.fe.s sont saturées de propositions. Sarah Gondillot s’excuse de ne pas répondre et invite les pigistes « à ne pas le prendre mal »; Raphaël Garrigos, co-directeur de la direction Raphaël Garrigos, s’attache à répondre à chaque proposition reçue- une dizaine par jours : « Je sais que cette attente et cette incertitude sont dures à vivre ».
Sonia Reyne expose sa méthode : « J’envoie d’abord un mail et je passe un coup de fil pour voir si la rédaction a bien reçu le syno. Puis je relance si nécessaire ».

La (très) bonne idée, le tribunal judiciaire, la presse pro

Guillaume de Morant, qui collabore pour des magazines de généalogie, reprend : « Le pigiste a deux manières d’aborder une rédaction : arriver avec une super idée et se montrer, de fait, indispensable (ce qui reste rare!). Sinon, bien comprendre comment fonctionne le magazine, se créer des portes d’entrée avec les personnes qui travaillent dans la rédaction ».

Du côté du site Les Jours, le bon sujet, c’est « d’abord une bonne idée » résume Raphaël Garrigos. Il sourit et s’excuse de ne pas être plus précis. Les Jours traitent l’actualité sous forme d’obsessions : des séries qui tissent un fil narratif sur plusieurs épisodes. « On cherche des séries qui recrutent des abonné.e.s, sans chercher à racoler, et qui nous permettent de garder nos actuel.le.s.  Les scoops et infos exclusives vont en attirer. Mais nous continuerons à faire des séries sur des sujets moins porteurs, aussi bien auprès de nos abonné.e.s que de potentiels nouveaux.velles ».
Une piste ? « L’immersion pas vue ailleurs. Ou l’investigation sur des sujets consommation (des séries sont actuellement en cours sur les SUV ou les cosmétiques) ».
Sur la vingtaine de série actuellement en cours, une quinzaine sont écrites par des pigistes. Tentez votre chance !
Une fois qu’une collaboration est entamée avec un média, Sonie Reyne conseille de proposer rapidement d’autres synopsis, pour ne pas se faire oublier, là aussi.
Des pistes de sujets pour les pigistes qui débutent ? « Le tribunal judiciaire près de chez soi est une mine inépuisable pour la presse nationale. Il y a plein de choses à prendre ! » (r)assure t-elle.
Pour les pigistes qui travaillent en province, elle recommande de faire de l’éloignement de la capitale une force, « une carte d’identité. Pensez par exemple à la presse professionnelle, notamment agricole. De nombreux titres existent et les jeunes pigistes n’y pensent pas forcément ».

La bourse pour l’enquête et le grand reportage

Les méthodes de travail varient, aussi, selon les pigistes. Guillaume de Morant n’entame jamais une enquête sans qu’une commande ne lui ait été validée. « Beaucoup sur-enquêtent avant même d’avoir vendu un sujet. Je ne le fais jamais. Car si l’enquête n’est pas vendue, elle n’est pas payée ».
Ce n’est pas le cas de Laurène Daycard , qui arrive souvent avec un sujet très détaillé quand elle vend une enquête ou un long reportage. Deux formats qui sont les parents pauvres du journalisme.
« Pas de notes de frais pour le travail de pré-enquête, pour le temps passé à chercher des contacts, etc… » expliquent Elisa Perrigueur, pigiste en Grèce (Le Monde Diplomatique, Médiapart, etc..) et Laurène Daycard, spécialisée dans les violences faites aux femmes, les zones de conflits et les crises humanitaires.

Les bourses représentent dès lors une très belle opportunité de financer ces reportages au long cours. Des organismes investissent jusqu’à 10 000 euros.
Faire le tour, dans un premier temps, de celles qui existent (« Brouillons d’un rêve » à la Scam ; bourse de la fondation Lagardère, bourses européennes telles que la « Global Investigative Journalism », etc…) N’oubliez pas, aussi, de vérifier au préalable les conditions d’obtention : certaines peuvent demander un droit de regard final sur l’article.
Remplir un dossier requiert un peu de temps, mais celui-ci peut se dupliquer pour différentes bourses. « Ce n’est jamais perdu » corroborent de conserve Elisa Perrigueur, lauréate du prix Louise Weiss en 2015 (journalisme et européen) et Laurène Daycard, dont l’enquête  parue sur Médiapart « Des féminicides aurait pu être évités » a reçu le soutien de la bourse « Brouillons d’un rêve ».
« Remporter une bourse permet de travailler de manière plus sereine, et de viabiliser le modèle économique ». Ces bourses existent aussi car les médias ne donnent plus beaucoup d’argent pour les frais de reportage…

La spécialisation…pour se déspécialiser

La diversification passe, également, par des piges pour la presse étrangère. Proposer un sujet qui a été publié en France à des médias étrangers (presse francophone et non-francophone) dans un second temps, « pour arrondir ses fins de mois », relève Delphine Bauer, membre du collectif Youpress (les tarifs à l’étranger sont souvent moindres qu’en France). Les élections présidentielles approchent et la presse étrangère aura un œil sur ce qu’il se passe dans l’Hexagone, par exemple…
Autre piste : « être fixeur pour de la presse étrangère », suggère Delphine Bauer. Le job ? Organiser la venue sur une semaine d’un.e journaliste étranger (télé par exemple), qui ne connaît pas la région où il ou elle met les pieds : prise de contacts, planification de reportage et d’interviews, etc….

« Profession Pigiste » fête ses 20 ans. Mantra de cette année 2021 : « Voyons grand ». Pourquoi pas un livre, dès lors, acmé de la diversification ? « Je me suis spécialisé dans la généalogie, ce qui m’a permis…de me déspécialiser » rapporte Guillaume de Morant, qui travaille au sein du collectif « Extra Muros », à Paris. « Les méthodes d’enquête m’ont permis de faire des reportages à Paris-Match, au Point, à la télé, même et d’être sollicité pour des conférences et l’écriture de livres ».

L’éditrice Salomé Viaud (Fayard, Robert-Laffont, Plon ; en route vers une nouvelle aventure face à la mainmise du groupe Bolloré sur les deux dernières) a « une vision engagée du livre. Un livre va au-delà de l’information. Il porte un message important ».

Le livre, notoriété et légitimité

Elle distingue deux types de livres : le premier, publié dans les grosses maisons d’éditions, aux productions quasi industrielles, et le second, publié dans les maisons indépendantes, aux moyens bien moindres mais qui s’engagent et s’investissent pleinement quand ils acceptent un projet – condition de leur survie. C’est, alors, « un livre que l’on défend et que l’on est fier de porter ».

Un pitch de livre, doit répondre, selon Salomé Viaud, positivement aux questions suivantes : « Le lecteur va-t-il dépenser 17 euros pour l’acheter ? Ce livre s’insère t-il dans le débat public (voire le créé t-il ?) Ce livre va-t-il changer la vie d’une personne, ou pas ? »

Si la proposition est acceptée, elle enjoint les pigistes à veiller aux conditions du contrat : « n’hésitez pas à négocier l’à-valoir avec les éditeurs.trices (la somme qui sera versée en avance sur les droits d’auteurs, quelque soit le niveau des ventes ensuite).  
Elle attire l’attention sur la clause de préférence : « celle-ci oblige le pigiste à par exemple signer les deux prochains livres avec le même éditeur, ou à lui soumettre ses idées de prochain livre. NE LA SIGNEZ PAS ! » Quant aux cessions de droits tiers (audiovisuel, podcast, international), elle conseille de rajouter le cas échéant la mention « avec l’accord de l’auteur ».

La suite dans les Clubs de la Presse !

Les 48 heures, c’est donc le coop de boost annuel qui donne du baume au cœur à tous les pigistes. Des dizaines de synos y mijotent dans les cerveaux en ébullition.
Et pourquoi pas alimenter cette effervescence dans les Clubs de la Presse, comme l’invite Sonia Reyne, présidente de l’UCP2F (Union des Clubs de la Presse de France et Francophones) et en adhérant à « Profession Pigiste » ?
Les Clubs de la Presse, à l’instar de celui de Bordeaux, proposent un lieu de coworking pour les pigistes, qui rompt l’isolement, densifie le carnet d’adresse, permet le partage de contacts et de tuyaux, créent des espaces de débat  et de formation (conférences, ateliers etc…).

« Profession Pigiste », ce sont des aides précieuses sur le fonctionnement de Pôle Emploi, des éclairages sur les droits des pigistes, une irremplaçable entraide en même temps que la constitution d’un gros réseau, toujours bienvenu, a fortiori dans ces temps-ci etc… A vos synos ; à vos adhésions, et bel été !

Quentin Guillon

Crédit photo : Profession Pigiste

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