
En 2025, le gouvernement a fait de la santé mentale sa Grande Cause Nationale. Une occasion pour mettre en lumière le traumatisme vicariant, vécu par les journalistes, et notamment ceux qui couvrent les faits divers. Récit et explications d’un phénomène encore invisibilisé. Marion Allard-Latour, journaliste indépendante et membre du Club, témoigne.
« En 2022, je réalise mes toutes premières piges dont une sur une affaire criminelle, datant des années 1990. J’ai alors vingt-cinq ans quand je me rends seule au domicile des parents de la victime. Avec le recul, peut-être étais-je trop jeune et pas assez préparée pour affronter la douleur d’une femme, qui avait vécu le pire.
Après l’interview du père de famille, qui a duré près de deux heures et demie, son épouse revient dans la pièce et me tombe dans les bras, les larmes aux yeux. Face à cela, je me sens désemparée. En rentrant chez moi, je découvre que j’ai oublié de demander une photo pour illustrer mon article. Je retourne chez eux la semaine d’après. Sur la table, plusieurs clichés de leur fille sont étalés. J’en sélectionne quelques-uns et les prends avec mon téléphone portable. »
Effet miroir
« Les jours passent et l’histoire de cette jeune femme, qui a été assassinée, me bouleverse. Son visage me hante jour et nuit. Je ne comprends pas cette injustice et une question ne me quitte pas : pourquoi elle ?
De fil en aiguille, je revois plusieurs fois sa mère, que je pense pouvoir aider psychologiquement. À travers ses mots, j’imagine sa fille, et son traumatisme devient inconsciemment le mien. Je revis en permanence les discussions que nous avons eues ensemble. Je fais d’innombrables cauchemars, je m’éloigne de mes amis… La seule chose qui me tient est d’écrire différents papiers sur des sujets bien éloignés des faits divers. Le reste du temps, je suis complètement perdue face à ce drame.
Début 2025, j’entends pour la première fois le terme de traumatisme vicariant. Tout correspond : dépression, insomnies… Pendant presque deux ans, je n’ai pas pu me sortir de cette condition. Parler à des proches a été libérateur, même si cela a tardé. Je suis restée silencieuse trois ou quatre mois. Aujourd’hui, il m’arrive encore de ressentir de grands moments de tristesse, mais j’espère que mon témoignage fera écho à d’autres. »
Aucune barrière entre vie privée et vie professionnelle
Le traumatisme vicariant ou par procuration concerne un grand nombre de métiers (avocats, psychologues, travailleurs sociaux…), et bien évidemment les journalistes. Il se définit par le fait que la personne ressent un trop-plein d’émotions et un mal-être, similaires à ceux des familles de victimes ou à des victimes directes, à la suite d’un ou de plusieurs récits. La barrière entre vie professionnelle et vie privée s’effondre. Le journaliste ne cesse alors de se remémorer l’instant où il a recueilli la parole de son interlocuteur, par flash. L’histoire racontée a un tel effet sur lui qu’elle devient un peu la sienne, sans le vouloir. Fatigue de compassion, hyper-vigilance, font partie des nombreux symptômes liés au traumatisme par procuration.
Comment prévenir ce syndrome ?
Si le journaliste est rattaché à une rédaction, il doit en discuter avec ses collègues, afin d’obtenir une aide. En revanche, les choses se révèlent plus difficiles pour un indépendant. S’il ne parle pas immédiatement à quelqu’un de son entourage, la situation risque de devenir invivable, pouvant le mener jusqu’à la dépression. En avril 2024, le Centre national de ressources et de résilience (Cn2r) a publié un dossier sur le sujet (voir ci-dessous).
Les psychologues et la journaliste Jeanne Blanquart, ayant travaillé sur le document, ont préconisé plusieurs actions pour mener à bien une interview avec une personne psychotraumatisée, comme « s’autoriser à laisser des pauses », « reconnaître et accepter la détresse de l’autre » ou encore « sortir pour prendre l’air », afin de préserver les deux parties. Mais une autre question se pose : comment les journalistes faits diversiers finissent par se sortir de ce traumatisme, encore peu connu ? Si la psychothérapie par mouvements oculaires (EMDR) s’avère concluante dans certaines circonstances, il reste essentiel d’en parler à des personnes de confiance et éviter tout ce qui rappelle l’origine du traumatisme.
Pour aller plus loin : comprendre, se protéger, agir
Auteure : Marion Allard-Latour, journaliste indépendante, membre active du Club