LE PARCOURS THÉMATIQUE CERCLES ET CARRÉS SUSCITER L’ÉMOTION Le nouvel accrochage du Centre Pompidou mobile, qui réunit quatorze chefs-d’œuvre choisis dans la collection du Centre Pompidou, célèbre les figures du cercle et du carré. Par Jean–Paul Ameline, conservateur en chef au Musée national d’art moderne C’est à Paris, le 15 mars 1930, que paraît le lire la suite

LE PARCOURS THÉMATIQUE CERCLES ET CARRÉS

SUSCITER L’ÉMOTION
Le nouvel accrochage du Centre Pompidou mobile, qui réunit quatorze chefs-d’œuvre choisis dans la collection du Centre Pompidou, célèbre les figures du cercle et du carré.

Par Jean–Paul Ameline, conservateur en chef au Musée national d’art moderne

C’est à Paris, le 15 mars 1930, que paraît le premier numéro d’une revue consacrée exclusivement à l’abstraction : « Cercle et Carré », créée par le peintre uruguayen Joaquin Torrès-Garcia, principal introducteur de l’abstraction en Amérique latine et le critique d’art Michel Seuphor, proche ami de Piet Mondrian. Ce dernier écrit : « Après avoir pris le temps de la réflexion, je propose le cercle et le carré comme signe du groupe. C’est pour moi l’emblème le plus simple de la totalité des choses. Le monde rationnel et le monde sensoriel, la Terre et le Ciel de l’ancien symbolisme chinois, la géométrie rectiligne et la géométrie curviligne, l’homme et la femme, Mondrian et Arp ».

Quelques jours plus tard, en avril 1930, a lieu la première exposition du groupe d’artistes réunis autour de la revue : on y voit les oeuvres de Jean Arp et de Robert Delaunay, de Vassily Kandinsky et de Piet Mondrian, de Sophie Taeuber-Arp et de Georges Vantongerloo mais aussi de Fernand Léger, le Corbusier et du dadaïste allemand Kurt Schwitters.

Le choix de « Cercle et Carré » ne devait alors rien au hasard. Dès le début du 20ème siècle, pour les pionniers de l’art abstrait, la forme géométrique simple a représenté, par son universalité, une voie d’accès privilégiée à un art nouveau en rupture avec une tradition millénaire de représentation illusionniste de la nature. Paul Cézanne, d’ailleurs, avait lui-même préconisé de « traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tous mis en perspective » (lettre à Emile Bernard, 15 avril 1904).

C’est donc souvent à partir de la forme élémentaire (carré, cercle, triangle…) que l’art abstrait s’affirme dès les premières années du 20ème siècle avec Kupka et Kandinsky, Mondrian et Malevitch, pour promouvoir une réalité autonome indépendante de la description visuelle des objets.

Un héritage qui sera bientôt revendiqué par tous ceux qui vont chercher à faire de l’abstraction géométrique la clé de l’art de l’avenir. En 1943, Auguste Herbin met au point son « alphabet plastique » destiné à codifier les correspondances symboliques entre mots, formes géométriques, et couleurs.

Quelques années plus tard, vers 1960, Victor Vasarely conçoit ses « unités plastiques » comme des associations systématiques de formes géométriques et de couleurs aboutissant à un « folklore planétaire » adaptable à tous types de créations plastiques (peinture, sculpture, photo, film, architecture).

Le développement de l’art abstrait n’a pu se passer ni d’une réflexion théorique sur les lois qui gouvernent la forme et la couleur, ni d’un travail systématique à partir de données mesurables. Tandis que le peintre Josef Albers fonde, à partir de 1948, ses recherches sur les interactions optiques entre les couleurs dans sa célèbre série Hommage au Carré, de leur côté, Max Bill et François Morellet font précéder la réalisation de leurs œuvres d’un programme écrit préalablement. Quant à Marcel Duchamp, il utilise ses ready-mades comme des instruments de mise en question d’un art seulement « rétinien » excluant toute spéculation intellectuelle.

Au début des années 1950, l’art abstrait semble triompher dans tous les pays occidentaux. Toutefois, émergent bientôt la contestation de sa toute-puissance et la crainte de le voir se transformer en un nouvel académisme. Dans ce contexte, le statisme de la forme géométrique apparaît comme une preuve de sa faiblesse. Inscrit dans ce contexte, l’art cinétique recourt au mouvement et à l’instabilité – réelle ou simulée – des formes pour susciter la participation du spectateur. Ainsi, dans les tableaux de Soto, des carrés métalliques fixés sur fond rayé semblent vibrer comme de simples feuilles de papier agitées par le vent.

Au même moment, l’art minimal américain fait lui aussi de l’expérience physique de formes élémentaires la clé du renouvellement de l’abstraction. À partir de 1963, Dan Flavin réalise ses premières pièces à partir de néons industriels tandis que le sculpteur Carl Andre construit, à partir de poutres, de briques, ou de plaques métalliques brutes, des installations aux formes géométriques minimales afin de concentrer la perception du spectateur sur les qualités basiques de l’œuvre Carl Andre : sa masse, sa disposition, son insertion dans l’espace.

Autant de questions que Daniel Buren pose également à partir de 1965 à l’aide d’un « outil visuel » qui l’a fait largement connaître : des rayures de 8,7 cm de large alternativement blanches et colorées disposées de façon à chaque fois différente dans les sites qui les accueillent.

Dans la série des Cabanes éclatées commencée en 1984, ces rayures occupent les «murs» d’une construction parallélépipédique dont les « portes » et « fenêtres » ont été découpées et « projetées » sur les murs environnants. Entre architecture et peinture, les Cabanesde Buren ouvertes à la déambulation du spectateur, multiplient les points de vue sur ce qui les environne et interviennent dans le lieu qu’elles occupent pour le contredire et le faire regarder sous des angles insoupçonnés.

Instrument de prédilection des artistes au service de la naissance de l’abstraction, les formes géométriques simples ont continué leur chemin tout au long de l’histoire de l’art moderne. Elles accompagnent aujourd’hui quelques-unes des questions les plus essentielles de l’art contemporain : la nature d’une forme, son rapport à l’espace et au spectateur, sa capacité de mise en question du réel.

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