Lors du débat du Printemps du Club de la Presse de Bordeaux sur “Mai 68, le Mai des médias”, certains ont été surpris du peu d’impact de cette révolte sur l’organisation de la presse et le rôle des journalistes. Certes, il y a eu, au lendemain de 68, une focalisation autour des sociétés de rédacteurs mais lire la suite

Lors du débat du Printemps du Club de la Presse de Bordeaux sur “Mai 68, le Mai des médias”, certains ont été surpris du peu d’impact de cette révolte sur l’organisation de la presse et le rôle des journalistes. Certes, il y a eu, au lendemain de 68, une focalisation autour des sociétés de rédacteurs mais l’idée de leur accorder une représentation dans les conseils d’administration des journaux s’est heurtée à la ferme hostilité des patrons. Les projets de création d’un statut des entreprises de presse à but non lucratif qui suscitait la même hostilité des patrons n’ont obtenu qu’un soutien timide d’une partie de la classe politique pour finalement être abandonnés.

Ce qui s’est passé dans la presse est à l’aune de ce qui s’est passé dans le reste de la société. Mai 68 est d’abord un mouvement libertaire, les étudiants qui proclament qu’“il est interdit d’interdire” ne cherchent pas à conquérir des pouvoirs mais à limiter les moyens d’action des pouvoirs en place. Quant aux salariés en grève, ils réclament d’abord de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail.

L’UNEF, dont le déclin avait commencé au milieu des années 60, ne sort pas renforcée des évènements de mai 68 ; le nombre d’adhérents continue à diminuer. Quand des revendications étudiantes se manifestent au début des années 70, ce n’est pas pour obtenir un pouvoir mais pour s’opposer aux projets du Pouvoir. L’initiative du combat ne vient pas de l’UNEF mais de la base, un peu comme à Nanterre en mars 68 : ce sont des « coordinations » qui se constituent pour mener la lutte et qui disparaissent, une fois le combat terminé.

Le phénomène est comparable chez les salariés. On voit surgir des conflits, des grèves, des séquestrations de cadres sur des initiatives spontanées de la base que les syndicats ont bien du mal à contrôler. Là aussi on voit naitre des “coordinations ”. Pourtant, un des éléments marquants des accords de Grenelle de mai 68 a été la reconnaissance de la présence syndicale dans l’entreprise dont les patrons ne voulaient pas. On pouvait imaginer que cela renforcerait le poids des syndicats et ferait monter le taux de syndicalisation dans les entreprises privées, taux un des plus faibles d’Europe. Il n’en a rien été !

L’esprit de mai 68 n’était pas de créer ou de renforcer des institutions en place, fussent-elles contestataires comme les syndicats, ou associatives comme les mouvements de jeunesse. Est-ce à dire que la révolte de mai 68 ouvrait la voie à de nouvelles formes d’organisation de la société ? À côté de certains groupuscules politiques se réclamant de Trotski ou de Mao, le courant autogestionnaire, cher à Michel Rocard et au PSU, paraissait à une partie des soixante-huitards comme la voie d’avenir. Les bouleversements de la vie économique mondiale au milieu des années 70 (quadruplement du prix du pétrole, fin des accords de Bretton Woods et de la fixité des parités monétaires, financiarisation accrue de l’économie, fin du plein emploi des Trente glorieuses) auront vite fait de transformer les rêves autogestionnaires en illusion.

Dans cet horizon qui s’assombrit, la seule éclaircie vient du monde politique : la gauche qui avait été incapable de canaliser à son profit la révolte étudiante et ouvrière de mai 68 fait à son tour sa “révolution” et se met en capacité de prendre le pouvoir en 1981. Mais les rêves de 68 ne se réaliseront pas pour autant et, dans le domaine des médias, l’emprise des grands groupes privés ou des grandes fortunes continuera à se renforcer.

Jean Marie Dupont

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