Cette année, les Tribunes de la presse, un événement co-organisé par la Région Aquitaine et Courrier International se déroulent pour la première fois à Bordeaux, du 17 au 19 octobre dans les locaux du TNBA. L’un des premiers débats portait sur la censure. Le Canard enchaîné est né à l’automne 1915 en riposte à la censure lire la suite

La censure vue de FranceCette année, les Tribunes de la presse, un événement co-organisé par la Région Aquitaine et Courrier International se déroulent pour la première fois à Bordeaux, du 17 au 19 octobre dans les locaux du TNBA. L’un des premiers débats portait sur la censure. Le Canard enchaîné est né à l’automne 1915 en riposte à la censure de la presse imposée lors de la grande guerre. Près d’un siècle plus tard, où en est-on en France ? 

En France, dès sa naissance, la presse a été victime de la censure. « Lorsque « La Gazette se crée », un comité politique est chargé de contrôler le contenu éditorial. Jusqu’à la révolution française, il y a eu une censure a priori et étatique », a rappelé Jean-Marie Charon, sociologue, président de la Conférence Nationale des Métiers du Journalisme. Mais, dès le Second Empire, un système de censure a été rétabli. Il faudra attendre loi de 1881 pour avoir loi sur la liberté de la presse. Une loi suspendue dès le premier jour de l’engagement de la France, dans la première guerre mondiale… C’est dans ce contexte de guerre, en 1915 qu’est né le Canard Enchaîné. Pour resituer ce contexte, Jean-François Julliard, rédacteur en chef adjoint du journal satirique, qui emploie actuellement une trentaine de journalistes, a lu à la salle la profession de foi du Canard à l’époque : « Le Canard prend l’engagement, après minutieuses vérifications, de ne donner que des infos fausses ». Une astuce, pour montrer que les autres sont très loin de dire la vérité.

La censure commerciale en temps de crise économique

Aujourd’hui, selon Jean-Marie Charon, il existe encore trois types de censure : – celle des militaires, des pouvoirs autoritaires (rare en France) – celle qui s’impose à nous, la censure commerciale – l’auto-censure. En cette période de fragilité économique des médias français, l’auto-censure est plus forte. « D’autant plus, que les journaux français appartiennent à des groupes industriels, dont ce n’est pas le métier et qui dépendent de commandes de l’Etat comme Dassault, fabricant d’armes », a relevé le sociologue. « Difficile dans ces conditions pour le Figaro de dire si le Rafale est vraiment le meilleur avion au monde et encore plus d’évoquer les affaires de financement occulte, dans lesquelles Serge Dassault est mis en cause », a-t-il détaillé. Autre exemple récent. Lorsque Libération sort en Une : « casse-toi riche con », adressée à Bernard Arnault, cela s’est traduit par 500 000 euros d’arrêt de commandes de son groupe, LVMH. « Un avertissement, qui vaut aussi pour les autres », a ajouté Jean-Marie Charon.

Une trop forte collusion entre journalistes et politiques

Parmi les sujets qui fâchent, il y a aussi la trop grande collusion entre politiques et journalistes. « C’est vrai. Il y a beaucoup de couples journalistes et politiques », a reconnu Jean-François Julliard. « Quand un homme politique ou un industriel emmène en vase clos journalistes, les rapports sont proches dans le temps et l’espace et favorisent des rapprochements », a-t-il avancé comme explication. Ce mélange des genres est en réalité une longue tradition historique. « Les carrières d’hommes politiques et de journalistes vont se croiser : Clémenceau, Jaurès, Blum… », a rappelé Jean-Marie Charon. Il n’y a pas forcément plus de censure aujourd’hui que par le passé, mais « une des conséquences de la crise économique est qu’il y a moins de journalistes, donc moins de possibilités de faire un travail de fond, d’enquête », a déploré le sociologue.

Un journalisme de guerre moins « embarqué »

En tout cas, aujourd’hui le journalisme de guerre évolue. Le débarquement lors de la seconde guerre mondiale a été couvert par des journalistes embarqués en uniforme. « De plus en plus, ce n’est pas considéré comme le journaliste idéal. Mais, le problème est que cela revient à exposer le journaliste physiquement, surtout dans des zones où il y a des risques de prises d’otages. Rappelez vous comment a été commenté par les pouvoirs publics l’enlèvement de Stéphane Taponier et de Hervé Ghesquière », a analysé Jean-Marie Charon. En outre, la télévision s’intéresse de plus en plus à l’impact de la guerre sur la société civile. De son côté, Jean-François Julliard a soulevé un autre problème, celui de la censure patriotique, en racontant un fait méconnu du grand public. En 2004, en Côte d’Ivoire, l’armée française a ouvert le fin sur des manifestants armés et désarmés… Bilan : 60 morts. « L’info a été cachée à la population française pendant trois semaines. C’est une censure patriotique. Les confères disaient que l’armée a eu raison d’intervenir pour protéger nos ressortissants ». Autre exemple délicat. Nous sommes cette fois en 1984, lors de la terrible guerre entre l’Irak et l’Iran. La France prend position pour l’Irak et impose un embargo à l’Iran. Jean-François Julliard apprend qu’une entreprise française transgresse l’embargo. « On s’apprête à publier. Mais, au Liban, 3 Français sont pris en otage par le Hezbollah. Le quai d’Orsay dit : attention votre publication peut menacer la vie des otages. Faut-il publier ? Nous avons débattu en interne et décidé de ne rien publier ».

La censure est-elle plus forte dans la presse régionale que nationale ?

La question a été posée par la salle. « Le problème en région est que lorsqu’un article ne plaît pas, le lendemain, les personnes sont dans les bureaux du journal. Il faudrait que le siège soit très ferme. Mais, il n’est pas assez vigilant, car des ressources publicitaires, liées à des collectivités territoriales par exemple, sont en jeu ». Autre interrogation intéressante du public : pourquoi le Canard Enchaîné ne développe-t-il pas son site Internet. « On a de l’humour, mais pas au point de donner gratuitement, quelque chose que l’on essaie de vendre sur papier. Songez aux dizaines de millions que les journaux ont perdu ainsi avec Internet. Notre modèle repose sur le papier (financé à 100% par les lecteurs, sans publicité) pour l’heure. Sur Internet, ce serait une autre façon de faire du journalisme. Nous voulons garder le temps d’enquêter et d’approfondir », a répondu Jean-François Julliard. Ce qui a suscité de vifs applaudissements de la salle, composée en grande partie de jeunes lycéens. Faut-il y voir un signe que la jeune génération reste attachée   au journal papier ?

Nicolas César

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