Le paysage politique sort modifié après l’élection présidentielle 2017. A l’invitation de l’ Alimso (Association des Lecteurs, Internautes et Mobinautes de Sud Ouest), un débat organisé à et par Sud Ouest a permis de mesurer les transformations de l’ échiquier politique et d’établir des parallèles avec des périodes passées. Devant les caméras de TV7, à lire la suite

 Le paysage politique sort modifié après l’élection présidentielle 2017. A l’invitation de l’ Alimso (Association des Lecteurs, Internautes et Mobinautes de Sud Ouest), un débat organisé à et par Sud Ouest a permis de mesurer les transformations de l’ échiquier politique et d’établir des parallèles avec des périodes passées.

Devant les caméras de TV7, à l’initiative de l’ Alimso (Association des Lecteurs, Internautes et Mobinautes de Sud Ouest), un débat public était organisé dans les locaux de Sud Ouest le mardi 23 mai. Un débat durant lequel les éditorialistes de Sud Ouest Bruno Dive, Yves Harté et Christophe Lucet sont revenus sur la présidentielle 2017 et ses temps forts, interrogés par le politologue Jean Petaux.

Jean Petaux : En quoi cette élection constitue quelque chose d’extraordinaire ?
Yves Harté : Il s’agit d’une rupture majeure dans le paysage politique français. Les qualificatifs qui me viennent à l’esprit : élections épuisantes et absolument passionnantes. On voit émerger une force, une dominante qu’on ne pouvait pas imaginer il y a un an. Il y a un an : Macron suscitait un mouvement de curiosité, une « bulle de sympathie« . Ce qu’on n’avait pas perçu, c’est que dans toute la France, naît quelque chose de déterminant : le ras le bol contre le grand jeu des partis sclérosés. Ces partis scindés entre les laudateurs (partisans du parti au pouvoir) et les opposants (opposés systématiquement à tout ce qui est proposé). Et cela entraîne une multitude de candidatures, une adhésion à la personne de Macron, à sa méthode. Cette élection est extraordinaire en cela.
Christophe Lucet : Macron a bénéficié d’un concours de circonstances extraordinaire. A un alignement des planètes. Une volonté de changement total s’est exprimée. Les primaires y ont fortement contribué. Chaque camp a choisi un candidat l’un fortement marqué à droite, l’autre marqué à gauche, laissant un vaste espace au centre, et déclenchant l’inéluctable.
Bruno Dive : Ce qui caractérise cette campagne, c’est son extraordinaire longueur. Juppé a déclaré sa candidature le 20 août 2014, à mi-mandat. Le renvoi de Hamon déclenche sa candidature. Et il faut l’opposer à la brièveté des législatives : 3 semaines.

Jean Petaux évoque des séismes fondateurs précédents dans le paysage politique, comme le congrès d’Épinay (la percée de Mitterrand), 1958 (le retour de de Gaulle), 1974 (le duel Chaban-Giscard). La victoire de Macron est-elle dans cette lignée ?
Yves Harté : on observe une posture gaullienne du nouveau président, porteur d’un grand changement de société. On peut faire la comparaison entre de Gaulle et Macron de ce point de vue. Les Français sont des sages. Ils avaient choisi un futur président transgresseur : Alain Juppé. Juppé a été privé d’un succès par la frange dure de son parti. Il n’était pas en phase. Même chose pour Hamon. Mais Macron, c’est en quelque sorte le petit-fils de Juppé. Et le Premier ministre, Édouard Philippe, qui l’a soutenu, en quelque sorte son fils.
Bruno Dive : Je vois une similitude avec 1958. Un climat de guerre civile, avec la guerre d’Algérie. On assiste en 1958 à un renouvellement total de la vie politique en France. De même, pour la vie économique.
En 2017 : une société fracturée…
Bruno Dive nous conseille de lire Le livre remarquable de Georgette Elgey (journaliste, écrivaine et historienne française, spécialiste de l’histoire de la Quatrième République) sur la 4ème République.
Des points communs entre 2017 et 1958 :
-Les partis qui se fissurent
– La naissance d’un nouveau parti : l’UNR, créé de toutes pièces (LREM en 2017)
– L’adhésion des Français (80%)
– Les législatives (pas de candidats agréés partout)
– Hécatombe de la 3ème et de la 4ème République (des partis en 2017)
– Ministres et députés en déconfiture
– Manière de procéder : par ordonnance
Yves Harté : L’essentiel va être d’aller vite. La France est dévastée. La France s’interroge. Le nouveau visage de la France : ce sont deux France. Macron a eu cette remarquable intuition : il s’agit de pacifier les rapports sociaux et les rapports économiques.
Christophe Lucet : Il y a tout de même de grandes différences entre 1958 et 2017. En 1958, la société est verticale, patriarcale. Ce n’est pas le cas en 2017 : elle est horizontale. Il s’agit aussi de rassurer les Français. On espère la réussite de la République en Marche. Qu’elle trouve sa cohérence. S’il n’y arrive pas, ce sera très inquiétant.

Jean Petaux : Le fait que Hollande ne se représente pas, qu’il n’y ait pas de bilan de son quinquennat, est-ce que cela a joué un rôle ? Cela introduit une couleur nouvelle…
Bruno Dive : Le premier problème : cela a été François Fillon. Il a bâti son programme comme une rupture des années Hollande. Il se retrouve donc sans adversaire, et déstabilisé. Il passe, avant même les affaires Pénélope en janvier de 30% d’opinions favorables à 25%. Il est déjà fragilisé. Il a bâti son attaque sur « Emmanuel Hollande » et cela n’a pas pris. Il a dû changer de projet, un projet édulcoré. D’où, incohérence de la démarche.
Yves Harté : Ajoutons le problème de la Sécu du programme Fillon. Et Hamon lui savonne la planche. Et une perspective d’affrontement des partis, comme on ne l’avait jamais vu auparavant (au moment des présidentielles, les partis se rassemblent habituellement).
Christophe Lucet : Vide côté gauche. Personne ne défend le bilan de Hollande. Un flou monumental se dessine.
Jean Petaux évoque la dramatisation du contexte.
En 1958, la guerre, le poids de l’armée. En 2017 : comme le FN est déjà donnée comme présent au 2ème tour, l’organisation de primaires devient impérative pour se défendre.
Bruno Dive : Bruno  Dive  a déjeuné avec Fillon le 18 janvier dernier. Discours de Fillon : je serai au 2ème tour. Donc, pas besoin de changer de programme.
Yves Harté : Le FN a beaucoup changé. On ne peut pas le caractériser comme avant comme un parti fasciste
essentiellement. Ou alors, il aurait fallu l’interdire. Les Français ne s’y retrouvent plus. Et le bloc qui vote pour le FN dépasse le FN. Les fractures sont considérables.
Bruno Dive : Les primaires sont tout de même un exercice de démocratie. Elles répondent à la crise des partis (pas de chef reconnu). Et ce sont les candidats les plus radicaux, et les militants le parlent. Il n’est pas sûr qu’il y aura encore un parti LR et un PS dans 5 ans.

Jean Petaux parle de 3 césars à la française : Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron.
Christophe Lucet : La partie droite de l’échiquier va se recomposer comme en Italie.
Bruno Dive : Il y a eu en 2006 et en 2012 des primaires avec des candidats qui n’étaient pas les plus radicaux, et qui se sont montrés rassembleurs.
En 2017, la gauche a eu cette pensée : perdu pour perdu… Et François Fillon a choisi la ligne dure. Perspective (fausse) : être le plus à même de gagner dans 5 ans ?
Yves Harté : S’il n’y avait eu qu’une seule primaire, c’est le candidat le plus rassembleur qui aurait été choisi. Le FN peut gagner le pouvoir.
Christophe Lucet : L’histoire de l’€ dans le débat du 2 ème tour a joué un rôle fondamental. Si le FN en tient compte, ce parti devient plus crédible. Une droite orpheline peut s’y reconnaître.
Jean Petaux : Mais le FN perd alors la ligne forte de son programme. Sur 144 propositions, 15 se fondent sur la sortie de l’€.

Question
Qu’est-ce qui a été pour vous le plus fort, le plus symbolique, le plus significatif de puis le 7 mai ?
Bruno Dive : La nomination d’Édouard Philippe. Une transgression totale.
Yves Harté  : Le premier discours de Macron : Sa gravité, son intelligence, sa portée…
Christophe Lucet : Sa capacité incroyable à endosser le costard de président. C’est stupéfiant !
Question de Jean Petaux : Les projections législatives : 14 millions de Français non représentés. Avec la potentialité de vrais conflits.
Bruno Dive : Marine Le Pen a raté sa campagne. J-L Mélenchon n’est pas fichu de s’entendre avec les communistes. LREM va disposer d’une majorité énorme. Peu de triangulaire. Une chambre introuvable.
Yves Harté : Je suis inquiet et pas inquiet Pas inquiet pour le pays qui vote. Mais inquiet, s’il y a absence de propositions. Le pays qui m’inquiète : celui qui n’accepte pas le jeu démocratique. Celui qui s’exprime dans les ZAD, les manifestations, les émeutes, les banlieues… Le climat est quasi insurrectionnel par moment. Le pays doit apprendre à accepter les règles de la démocratie. Ce qui m’a choqué : de voir alors qu’on est dans une période dangereuse avec le terrorisme, de voir défiler des Français exprimant leur haine de la police… Le défi de Macron : faire en sorte que l’exercice démocratique puisse encore exister.
Christophe Lucet : Les non-inscrits sur les listes électorales ne sont pas intéressés par cela.
Bruno Dive : Mais ils sont minoritaires. Étonnement de l’Europe du Nord de voir la loi El Khomery si anodine pour eux si contestée en France. Des mois de manifestations. Il n’est pas normal que soit empêché ce qui a été décidé par le Parlement.
Question du public : ceux qui ne votent pas ? Ne pourrait-on faire comme la Belgique et rendre le vote obligatoire ?
Jean Petaux : Il y a ceux qui sont inscrits sur les listes électorales et qui s’abstiennent. Il y a aussi qui ne sont même pas inscrits. On parle d’électeurs invisibles. En Belgique, il n’y a pas d’amende. C’est trop compliqué. En fait, en France, on évoque l’abstention qui s’aggraverait. En fait, elle est bonne. Macron a été un des présidents les mieux élus : 43,6% des inscrits.
Christophe Lucet : Aux USA, 50% des Américains sont inscrits sur les listes électorales, et 25% se déplacent. En fait, Macron est plus puissant que Trump.
Question du public
Macron : un pro européen. Quel est l’avenir de la réforme de l’Europe ?
Bruno Dive : A souligner : la relance du couple Allemagne/France, pour mettre en mouvement la dynamique de la machine. Et le Brexit introduit en fait une simplification des choses en Europe.
Christophe Lucet : Dans les meetings, on a vu pour la 1 ère fois le drapeau européen. Emmanuel Macron a été le seul à parler de l’Europe.
Les thèmes :
– Conservation des acquis européen
– Une défense commune
– Et autres…
Espérons un effet d’entraînement.
Yves Harté : C’est un autre exploit d’Emmanuel Macron d’avoir mis au cœur de sa campagne un thème non populaire : l’Europe. Une Europe non désirable et trop gouvernée par l’Allemagne. Pour réussir, il faut la faire évoluer.

Question du public
Entre 2017 et 1958, ne peut-on constater l’impact des médias ? Les médias zooment sur les partis majoritaires, et le peuple se désintéresse. Et la question des abstentions : n’est-ce pas un problème d’offre politique ?
Yves Harté : En 1958, il y a 58 journaux. La TV : 1 seule chaîne, sous autorité de l’État. Le discours politique passe par les canaux traditionnels. En 2017, c’est tout à fait différent. Les sources d’information sont variées. Importance des réseaux sociaux. Tout citoyen est 50 fois mieux informé. Et c’est un grand paradoxe. Et il y a eu une complète couverture de tous les candidats à la présidence. Un petit parti c’est tout simplement un parti qui ne réussit pas. Pour Macron : c’est un petit parti qui réussit.
Jean Petaux : En 2002, 28% d’abstentions au 1 er tour de l’élection présidentielle : la plus forte. + 8% de votants au 2 ème tour, ce qui exprime une forme de honte de s’être abstenu.
Bruno Dive : Aujourd’hui, les journaux indépendants, la TV… Ce qui a changé : la rapidité de l’information. Les réseaux sociaux. Il faut nourrir la bête… La réhabilitation des meetings (tombés précédemment en désuétude).

Question du public
Le nombre ahurissant de candidats pour les législatives…
R : L’article de Sud Ouest du matin même est cité. L’effet d’aubaine est recherché du fait des règles de financement des partis politiques. On constate la bonne allure du gouvernement actuel.
Question du public
Quelle est la prise de position de Sud Ouest sur le FN ?
Yves Harté : FN cible de l’extrême gauche.
Jean Petaux évoque une « gauchosphère virulente »…

Question du public : votre avis sur le choix du Premier  ministre ? Objectif : dislocation de la droite ? Erreur d’analyse ?
Bruno Dive : Cela constitue un piège pour fracturer la droite. La droite qui comptait sur un accord législatif après les élections. Contrairement à ce qu’il avait annoncé, Emmanuel Macron a pris cette décision après le résultat du 7 mai. Ce choix est en fait mieux vu par l’électorat de droite.
Christophe Lucet : On constate une grande ouverture sur l’électorat de Juppé…
Bruno Dive : Macron, on devrait plus le comparer à Napoléon qu’à de Gaulle. Il a toujours un coup d’avance. Exemple : Il a annoncé sa candidature 2 jours avant la primaire de la gauche, ce qui a pris de court Hollande.

Question du public sur la démocratie.
Yves Harté : Elle était une démarche institutionnelle. Elle ne passe plus par le jeu électoral. Il faut passer à autre chose.
Christophe Lucet : On ne peut plus jouer le jeu habituel et classique. Contradictions. Des décisions sont prises qui ne
sont pas en cohérence avec le choix électoral. Qui va l’emporter ? Par exemple, sur la question du code de travail…
Jean Petaux : On a une manière de faire de la politique en France qui est différente de celle de nos voisins.
Christophe Lucet : Exemple de l’Espagne avec Podemos, et la recomposition politique induite. En France, un livre parle du sujet : pourquoi la France a-t-elle besoin d’hommes providentiels ?
Jean Petaux : Il nous conseille la lecture du dernier Rosanvallon. Et aussi, celui de Lionel Jospin (sur Napoléon ?).
Christine DIARD

Pour revivre le débat : http://www.dailymotion.com/video/x5nqqtv_debat-des-editorialistes-de-sud-ouest_tv

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