« Tous suivis à la trace ? Bienvenue dans le meilleur des mondes » était le thème d’un débat du premier jour des Tribunes de la Presse, sur les empreintes numériques que nous laissons derrière nous, qui fit le plein et secoua les certitudes de nombreux lycéens présents. « Si on est tous pistés, c’est qu’on le veut lire la suite

« Tous suivis à la trace ? Bienvenue dans le meilleur des mondes » était le thème d’un débat du premier jour des Tribunes de la Presse, sur les empreintes numériques que nous laissons derrière nous, qui fit le plein et secoua les certitudes de nombreux lycéens présents.

« Si on est tous pistés, c’est qu’on le veut bien« . Tristan Nitot, ancien président de Mozilla Europe n’y va pas par quatre chemins. Tout cela se fait au bénéfice des GAFA(M) – Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft – et indirectement des agences gouvernementales qui peuvent exploiter les données recueillies. Nous sommes « surveillés de A à Z« .

Et qu’est-ce qu’on y gagne. « On leur donne toute nos données pour en échange un service qui ne vaut quasiment rien : nous coûtons 3 € par an et par personne à Facebook, par exemple« . « Android est un mouchard de poche !« . « C’est toxique pour nos libertés« .

Laurent Bloch, chercheur en cyberstratégie enfonce le clou : « Google est capable de détecter le déclenchement d’une épidémie avant l’Organisation Mondiale de la Santé« . « Google peut savoir avant vous, si vous allez vous mettre en couple et avec qui« . Les États ont aussi renforcé leurs moyens de contrôle, quelquefois en détournant leurs propres lois. Ainsi, un milliard de dollars a été rajouté dans le programme du sous-marin d’assaut américain Jimmy Carter pour qu’il soit capable de repêcher les fibres optiques sous-marines pour capter les données qui y circulent !

Et de poser la question essentielle « Comment se réapproprier nos données. Les moyens juridiques ne suffisent plus« .

Pour Philippe Vion-Dury, journaliste, « la question du traitement des données, c’est celle des algorithmes« . Facebook les utilise pour nous proposer des choix qui sont censés nous convenir. Mais nos assurances s’en servent aussi pour connaître les risques que nous représentons comme la police ! La manipulation est souvent le résultat de l’utilisation de ces algorythmes.

Leur utilisation a aussi comme résultat de créer chez nous des dépendances. Sean Parker, l’ancien président de Facebook a reconnu que « chaque Like (J’aime) engendre des pics de dopamine« . Sur le site de l’American Marketing Association, on parle « d’augmenter l’addiction« .

Les lycéen(ne)s présent(e)s n’ont pas pris à la légère les précisions de ces spécialistes. L’une d’entre eux a demandé : « Peut-on récupérer ses données pour changer de service ?« .

En principe, ce sera possible à partir de mai prochain. La RGPD (Réglementation générale pour la protection des données) votée par l’Europe, entrera en action. Ce droit à la portabilité des données n’est cependant pas évident.

Nathalie Devillier, juriste, croit dans les actions de groupe sur le modèle des « class actions« .

Pour Philippe Vion-Dury, la solution ne peut effectivement qu’être collective. On ne peut pas s’en sortir individuellement sauf à s’isoler du monde.

Mais la « loi avance moins vite que les industriels« . Une solution peu-être : les logiciels libres et la formation de tous à ces questions.

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« Sommes-nous devenus esclaves de nos téléphones portables ? »

Cet atelier du deuxième jour complétait le débat ci-dessus. Philippe Vion-Dury en était l’invité.

Il a insisté sur le temps perdu sur le smartphone, à cause d’applications conçues pour retenir notre attention, créer la dépendance, manipuler.

Le lancement automatique de vidéos (You tube,Netflix), des test réalisés (Facebook 2014) à partir de manipulation de fils d’actualités personnels, des scores de compatibilité truqués (OKCupid)… Tout cela nous incite à passer plus de temps sur notre portable et ses applis : trois heures et cinquante minutes par jour soit autant que devant la télévision (et les courbes ont tendance à s’inverser).

Tristan Harris, philosophe engagé par Google a reconnu que l' »on volait des millions d’heures aux gens« . (Qu’on ne s’étonne pas de rencontrer un philosophe chez Google, Microsoft a embauché plus d’anthropologues que l’État américain !).

Si les marchants ont toujours cherché à retenir notre attention (essentiellement à travers la publicité), les choses changent par l’entremise des technologies numériques parce que l’ubiquité change notre rapport au monde et que le ciblage est beaucoup plu serré qu’autrefois, individualisé.

« Notre libre-arbitre est en danger« . « Le pur hasard ouvre des perspectives de découverte autrement plus réjouissantes » que les algorithmes propriétaires des GAFA. Un choix éditorial de journal vaut cent fois mieux qu’un algorithme comme on imagine en mettre à la tête des journaux.

Très peu de mouvements collectifs ont émergé pour contester cet état de fait. Mais quelques applis commencent à nous aider à lutter contre trop de dépendance.

Les conseils de Philippe Vion-Dury :

  • « Passer du temps avec des gens plutôt que sur son portable » ;
  • « Désactiver les notifications » ;
  • « Ne pas laisser son portable près de son lit » ;
  • « Savoir quand on perd son temps« .

En un mot être individuellement raisonnable et collectivement, lutter contre les techniques de manipulation.

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Quelques citations extraites d’autres débats :

En politique, ce qu’il y a de plus difficile à appréhender et à comprendre, c’est de qui se passe sous nos yeux. (Alain Rousset, président de la Région Nouvelle-Aquitaine, citant Alexis de Tocqueville, lors de la séance inaugurale)

Le monstre qui nous fait peur est constitué de nos propres peurs (Catherine Marnas, directrice du TNBA, se référant au Léviathan de Hobbes, lors de la séance inaugurale).

On comprend mieux le passé que le présent (Bernard Guetta, président des Tribunes de la Presse, lors de la séance inaugurale).

Nous manquons aujourd’hui de catégories et de concepts pour comprendre le monde (Olivier Bomsel, économiste, lors du débat sur « La mondialisation contestée par les peuples ?« )

– A la fragmentation du politique répond la globalisation de l’économie (Christian Grataloup, géographe, lors du débat sur « La mondialisation contestée par les peuples ?« )

– Le nivellement des inégalités au plan mondial s’accompagne d’un creusement des inégalités au sein de chaque économie (Anne Perrot, économiste, lors du débat sur « La mondialisation contestée par les peuples ?« )

– L’homme, homo sapiens ? Plutôt homo faber… « A chaque fois qu’on agresse la nature, on s’auto-agresse »… « Aucune espèce ne s’adapte sans changer » (Gilles Bœuf, biologiste, lors du débat « Les dégâts de la mondialisation. Préserver la terre« )

– « Admettre la dynamique spontanée qui échappe à la volonté de contrôle » (Vincent Devictor, écologue, lors du débat « Les dégâts de la mondialisation. Préserver la terre« )

– « L’écologie pose des problèmes particuliers à la démocratie mais est une chance pour la démocratie » (Lucille Schmid, co-présidente de la Green European Foundation, lors du débat « Les dégâts de la mondialisation. Préserver la terre« )

 

(Photo : un autre débat très suivi, celui sur « La mondialisation contestée par les peuples ? », illustré de diapositives très parlantes)

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